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LAICITÉ ET FAIT RELIGIEUX  

Laïcité et fait religieux

Difficulté de faire dialoguer deux concepts qui sont l’un et l’autre très peu précis et très polémiques, comme tous les concepts valises.  Et pourtant, ce dialogue est essentiel à la confortation de notre modèle social actuel.

Définition de la laïcité

Ce terme a été créé  à la fin du XIXème siècle par Ferdinand Buisson , celui qui avec Jules Ferry est le père de la généralisation de l’ Ecole publique,. Il vient du grec Laos, qui signifie, le peuple. Il a progressivement pris de l’importance dans le débat politique. C’est une création française, le  concept étant peu ou mal exporté et compris en dehors du monde francophone .

La laïcité est un principe fondamental de la République dont le contenu est depuis longtemps fixé , et notamment par la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’ Etat  :  elle est inscrite à l’article premier de la constitution de 1958 « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Cette définition a été précisée en 2013 par le Conseil Constitutionnel , avec  trois volets  la liberté de conscience et  donc celle de manifester ses convictions ; la séparation des institutions publiques et des organisations religieuse ; l’égalité de tous devant les convictions et croyances.

Mais cette définition de principe juridique  ne correspond ni à ce qu’était la laïcité sous la IIIème République., ni à la conception politique  de la laïcité qui se développe actuellement Alors qu’on affirme encore aujourd’hui  qu’en principe la laïcité n’est pas une opinion mais la garantie de pourvoir exprimer toutes les opinions, elle  a été et redevient synonyme d’ une défiance concernant  l’expression des convictions religieuses au sein de la société, et donc de  l’espace public.  Cela pour préserver ce que la loi appelle les « exigences minimales de la vie en société » ou pour empêcher le « séparatisme » dont les religions ont toujours été accusées.

Cette défiance conduit  beaucoup d’acteurs de la société  à élargir l’objectif de la laïcité , et à vouloir instaurer  une « morale laïque » ; Vincent Peillon avait même appelé de ses vœux, à la suite d’ailleurs de Ferdinand Buisson ,  une  foi et même  une « religion laïque » . Cette défiance a  conduit aussi à renforcer le contrôle des cultes. La loi du 24 aout 2021 appelée « loi de protection des valeurs de la République »,  a  effectué une véritable entorse au principe de séparation entre l’Etat et les cultes  , l’Etat devant délivrer et renouveler tous les cinq ans  une attestation de culturalité aux associations cultuelles

On le voit donc, et c’est assez normal, la laïcité évolue avec le temps et les circonstances.  D’un régime libéral fondé sur la séparation des Eglises et de l’ Etat et de garantie de la liberté de conscience, on évolue vers une laïcité qui  étend son emprise de l’ Etat vers la société ;

Tout le monde aujourd’hui se dit laïque, du Pape à Michel Onfray, et de Marine Le Pen à Jean Luc Melenchon  . Mais derrière ce mot qui est un concept valise, il y a bien des  différences et des incompréhensions, et la matière est hautement inflammable (Bougie d’Hanouka,  controverse lycées Averroes et Stanislas)  il existe aujourd’hui un équilibre à redéfinir pour la période qui s’ouvre  et c’est je pense de cela que l’on va parler dans la suite de cet entretien .

Le fait religieux :

  • C’est un terme apparu récemment, notamment dans l’ouvrage de Jean Delumeau en 1993, pour témoigner de la diversité et de la complexité des religions.  C’est donc, que ce terme soit employé au singulier ou au pluriel,  le religieux objectivé, l’examen  sociologique, historique, rationnel du phénomène religieux, de l’extérieur des religions. S’il est possible d’être objectif dans ce domaine passionnel.  Pour la majorité des croyants, il existe une foi qui est  plus ou moins constitutive de leur identité, mais qui  caractérise toujours par sa radicalité.

En quoi existe-t-il un intérêt du fait religieux pour notre société ? Il semblait être  devenu d’autant plus marginal que la pratique religieuse a beaucoup baissé, que la majorité de nos concitoyens s’affirme agnostique ou athée, plutôt agnostique d’ailleurs, et donne l’impression d’avoir tourné la page. Alors, pourquoi s’intéresser au fait religieux alors que la laïcité doit nous prémunir de ses dangers , et que la religion semble étrangère à notre culture du moment ? Parce qu’il  est revenu sur le devant de la scène par une voie inattendue, celle de l’islam et des fondamentalismes.

Comment une meilleure reconnaissance du fait religieux peut conforter la laïcité :

C’est une approche provocatrice car la non reconnaissance des religions par l’État, est dans notre droit la contrepartie du principe de séparation. Mais qu’est-ce que la non reconnaissance ? C’est la conséquence de la neutralité de l’État, le seul fait que les cultes ne sont plus depuis 1905 des institutions publiques. Ils s’exercent librement dans la limite de l’ordre public.

Il est hors de question de renoncer à cela. Mais  s’est instaurée une défiance de l’État et de la société vis-à-vis des religions .Et cette défiance s’est accentuée depuis vingt ans. Cela se traduit de plus en plus par une relégation des religions  en dehors de l’espace public. Cette laïcité de défiance conduit à l’ignorance du fait religieux. D’autant que les vecteurs traditionnels de leur connaissance se sont affaiblis. La culture religieuse ne se transmet que dans une faible minorité des familles, la pratique du catéchisme est  marginalisée. . Il y a de moins en moins d’obsèques religieuses, de mariages religieux, de baptêmes

Cette situation est une particularité française dont nous sommes parfois fiers. Elle n’est pas comprise à l’étranger, pas davantage que goût immodéré du blasphème, c’est-à -dire d’insulte ou de moquerie aux religions. C’est  une « exception française », où le droit au blasphème est en quelque sorte sacralisé. On peut en être fiers, il faut en être conscient.

Cette ignorance des religions m’apparaît irréaliste, dommageable et dangereuse

Irréaliste, parce que le déclin de la pratique religieuse  en France ne doit pas tromper :  Il n’y a jamais eu autant de croyants dans le monde, et ceci dans les pays développés comme  dans les pays en émergence  Il y aura bientôt plus de protestants en Chine qu’aux Etats Unis, beaucoup plus de catholiques qu’en Italie.. En France, près de  la moitié de la population affirme être croyante. C’est beaucoup. Cela intègre les six millions de  personnes immigrées de foi musulmane, qui sont en grande majorité croyants, pratiquants, et font de leur foi un marqueur culturel. Il est prévu que les musulmans représentent dans 25 ans 18% de la population contre 9 % aujourd’hui, et devenir la première religion en termes de pratique (si les courbes observées depuis vingt ans en termes de pratique religieuse pour les différentes traditions se maintenaient). Les religions ne sont donc pas du tout un legs du passé, il faudra longtemps vivre avec.

Le fait religieux pèse beaucoup dans les tensions actuelles du monde et impactera directement nos vies.. Les élections américaines se joueront, à front renversé, entre un catholique pratiquant convaincu, mais laïque dans sa pratique politique ( par exemple sur l’avortement)  et un protestant non pratiquant et a priori non observant  qui a su mobiliser une grande partie des électeurs américains sur l’idée que l’ identité de la plus grande nation du monde serait religieuse. L’antisémitisme n’a jamais été aussi présent, et le cauchemar de la création d’un Etat Islamique n’est pas mort.

– L’ignorance serait dommageable pour deux  raisons :

D’abord, parce que le paysage religieux s’est transformé depuis trente ans : La foi est devenue beaucoup plus individualiste, puisque la croyance de conviction a remplacé la croyance de tradition. Il y a un écart de plus en plus visible entre la croyance, la pratique religieuse, et l’observance des préceptes religieux. On peut ne pas croire et adhérer à une religion pour des raisons culturelles. Ces évolutions ont de très bons côtés : c’est la marque d’une société qui refuse l’autorité imposée. Elles en ont de mauvais, avec ce manque d’interlocuteurs fiables, permanents, aptes à gérer au sein de leur communauté les dissensus qui inévitablement se font jour. Voyons la situation du Pape François dont les dernières déclarations sur la bénédiction des couples gays. Elle a été très nuancée par la Conférence des évêques de France. Le dogme de l’infaillibilité papale s’effrite. Le fait religieux est devenu plus libre, et donc potentiellement moins contrôlé, plus dangereux qu’avant.

Dommageable ensuite parce que la religion est au cœur de notre culture : de notre patrimoine architectural, artistique, musical . De notre littérature et de notre philosophie. Peut-on comprendre Hegel et Kant sans savoir que leur philosophie constitue une adaptation de leur foi protestante  ?  On ne peut comprendre notre histoire et notre culture, sans comprendre non seulement le fait religieux objectif mais aussi le contenu  des religions.

Et je voudrais insister sur ce point :le fait religieux peut être utile à la laïcité du fait de l’intérêt des textes et des rites religieux eux-mêmes, comme vecteurs de culture mais aussi de sagesse et d’équilibre social. C’est en effet un paradoxe :  notre société se passionnerait pour les livres de sagesse ou de spiritualité, têtes de gondole de nos librairies, mais elle oublierait la Bible ou les grands chefs d’œuvre de la théologie religieuse mondiale qui ont façonné vingt siècles et plus de l’histoire de l’humanité.

Nous sommes à Montmorency  particulièrement sensibles à  JJR. Rappelons nous  à ce que JJR a écrit sur la Bible, dont il était un lecteur aussi passionné que  libre.

«  Je dois vous confesser que la majesté des Ecritures m’éblouit, elle parle à mon cœur, et en plus, elle est si inimitable que si elle a été l’invention des hommes, les inventeurs seraient plus grands que nos plus grands héros » .

Citons aussi Jean Jaurès « c’est le livre des sursauts, des grandes revendications sociales, des prophéties annonçant l’égalité fraternelle entre les hommes, amenant la disparition des guerres entre les peuples, et l’apaisement de la nature elle-même ».

Par conséquent, la connaissance par le plus grand nombre  des grands textes religieux, de l’histoire des Églises et des dogmes  une richesse intérieure autant que sociale.

– Enfin, l’ignorance est dangereuse :

L’ignorance coupe les religions, et donc la masse des pratiquants, de la société, en niant la valeur de leur engagement. Les communautés religieuses risquent de se fermer à la société : c’est la porte ouverte au  fondamentalisme, au séparatisme , puisqu’il serait vain de faire des efforts de présentation  pour se faire comprendre, pour dialoguer avec les autres. C’est aussi la voie vers la victimisation. Et cela se retournera même contre la laïcité. Citons d’essor du wokisme, c’est-à-dire du soutien inconditionnel apporté par une frange de l’opinion aux cultures ou aux communautés estimées défavorisées. Y compris contre la laïcité, qui apparaît alors une arme au service de la société dominante.

– Au contraire, l’Etat – et au-delà la société toute entière- doivent comprendre que les ressources de motivation des communautés religieuses sont très fortes.  Les conceptions religieuses de ce que l’on appelle « la vie bonne » permettent de dépasser l’intérêt personnel, le court terme, le matériel.

Ces ressources religieuses peuvent par conséquent favoriser l’engagement en faveur de l’intérêt général , conforter le lien social.

C’est un des messages des philosophes John Rawls et Jurgen Habermas. Ils ont mis en évidence dans leurs œuvres  un traumatisme de la laïcisation quand on demande – à juste titre –  aux individus de faire primer la loi de l’Etat sur leurs engagements communautaires, qu’ils appellent fréquemment la loi de Dieu..

Je voudrais sur ce sujet citer le très grand sociologue allemand Harmut Rosa : «  La religion est une force, elle dispose d’un réservoir d’idées et d’un arsenal de rituels, avec ses chants, ses gestes, ses espaces, ses traditions et ses pratiques, qui permettent de sentir et de donner du sens à ce que veut dire être appelé, se laisser transformer, être en résonnance… C’est pourquoi la réponse à la question de savoir si la société d’aujourd’hui a encore besoin de l’ Eglise ou de la religion ne peut qu’être oui » (Pourquoi la démocratie a besoin de la religion- La découverte).

Un des principes de la laïcité, et même plus encore de nos règles de vie, est que la loi de l’Etat doit in fine primer sur la loi de Dieu. Les croyants ne peuvent pas transgresser les lois de la République, et pourtant leur liberté de conscience doit être reconnue. Une femme peut prendre elle-même, pour des raisons religieuses, la libre décision de ne pas avorter. Mais cette décision ne doit pas être prise sous la contrainte directe ou indirecte d’un mari ou d’une autorité religieuse.. La religion peut certes lui présenter toutes les raisons qui la poussent à condamner ou à limiter l’avortement. Mais elle doit respecter le  libre choix de cette femme qui prendra sa décision, instruite des droits dont elle dispose, comme des prescriptions de la religion à laquelle elle adhère, pratique difficile, mais c’est cela la vraie laïcité : dialoguer avec la frange de la population qui est religieuse.

– L’État n’ignore plus les religions pour toutes ces raisons. Et c’est pour cela que le débat redevient inflammable, car on va vite dire qu’il en fait  où trop peu, ou pas assez. Même si le terme de  reconnaissance reste évidemment tabou, ce n’est plus le cas pour le dialogue et de partenariat  avec les religions.

L’État  accentue son partenariat  avec les grandes religions, par exemple pour la future loi sur la fin de vie, pour bénéficier de leur expertise, pour aussi les contrôler, et enfin pour que celles-ci puissent exercer dans le cadre de notre République laïque une mission de d’information ou et  formation de leurs fidèles

Prenons un exemple parmi tant d’autres : La volonté des différents gouvernements de construire un islam en France, ou un islam de France, c’est-à-dire un islam qui sans se trahir, s’adapte à sa société d’accueil, et ne soit plus dépendant de l’étranger. Et donc selon le terme consacré qui « s’inculture » dans sa société. Ce n’est pas facile compte tenu de l’organisation de l’Islam qui est très décentralisée, très dépendante des nations d’origine des croyants. Après l’échec du Conseil français du culte musulman, le FORIF (forum de l’islam de France) lancé en 2022 se veut une structure souple et évolutive de dialogue avec les pouvoirs publics.

« La Charte des principes de l’Islam en France », adoptée en janvier 2021, fut quasiment rédigée sous la pression du Président de la République. C’est un document contesté, mais  qui a une vocation pédagogique certaine, par exemple sur la question cruciale de l’égalité hommes-femmes.

Tout cela montre qu’il existe bien un partenariat assumé et nécessaire entre l’Etat et les religions, afin notamment d’inculture les religions dans la société française, et donc de former les fidèles

On sait qu’à la suite du 11 septembre, et sur les suggestions du philospohe Régis Debray,  une formation laïque  au  fait religieux a été  mise en place depuis vingt ans dans les écoles publiques et privées de ce pays  Avec un succès inégal, et une insistance aujourd’hui plus volontiers donnée à l’instruction morale et civique dont le Président de la République a demandé que le volume d’heures soit. Cette formation ne saurait se limiter à l’école, il appartient aux représentants des grands cultes de la promouvoir auprès de la société toute entière. Elle gagnerait grandement à intégrer, comme c’est fait par exemple en Allemagne, les fondamentaux de chaque  grande religion. Elle doit se mener sur les réseaux sociaux et au sein de communautés virtuelles, bien plus influents que les médias traditionnels, bien plus indépendantes des structures nationales de contrôle, bien plus représentatives de la mondialisation actuelle.

Le Président de la République a invité une communauté religieuse, le protestantisme, à être une « vigie de la République ». Cette invitation particulière était liée au fait que le protestantisme a toujours été fidèle à la tradition laïque. Mais aujourd’hui cette invitation peut et doit s’s’adresser à toutes les religions, car elles sont toutes-à un degré divers- menacées de fondamentalisme, Ce qui signifie que le fait religieux, dans son périmètre le plus pertinent  soit d’une certaine manière connu de tous, pour ne pas être seulement caricaturé, et qu’il devienne ainsi – enfin ! un facteur d’apaisement et d’intégration, pas de tension.

Comme la religion change, comme la société change, comme les modes de transmission changent, la laïcité doit s’adapter. C’est le prix de sa survie et de son dynamisme.

Alain Joubert

FÊTE DE LA PAROISSE DU 19 NOVEMBRE 

Les paroissiens, dont notre chère Flory Petit, ont participé à notre repas d’Enghien du dimanche 19 novembre. Un moment précieux pour se retrouver dans la salle des fêtes d’Enghien et faire mieux connaissance avec nos deux nouveaux pasteurs dans la bonne humeur ! Un grand merci aux organisateurs et aux jeunes de la paroisse qui ont assuré le service.