Cap sur la Bible

Pour l’année 2022-2023, l’Église d’Enghien a choisi l’Épître aux Romains de l’Apôtre Paul comme thème de ses études bibliques. La séance inaugurale a été réalisée le 4 octobre dernier.  Voici le résumé de l’exposé réalisé à cette occasion.

Nos études bibliques, appelées «  Cap sur la Bible » ont lieu le premier mardi de chaque mois, entre 20h30 et 22h  dans les locaux de la paroisse, au 171 avenue de la division Leclerc – 95880 Enghien.

Aucune inscription n’est nécessaire pour ces études qui se veulent d’abord une occasion de commenter ensemble des textes bibliques parfois difficiles.

Il n’est pas nécessaire de participer à toutes les réunions, et notamment  d’avoir suivi la première séance pour venir à la séance suivante.

Prochaines séances, le 8 Novembre : les trois premiers chapitres de l’Epître,  avec Thomas Buffet, professeur de classe préparatoire au Lycée Louis Le Grand.

Le 6 décembre, avec Arlette Sancery, Professeur honoaraire à la Sorbonne.

INTRODUCTION A L’ÉPITRE AUX ROMAINS

3 octobre 2022 – Cap sur la Bible – Eglise d’Enghien

La lettre aux Romains,  synthèse des écrits pauliniens

Il s’agit de la première des 13 lettres de Paul  inscrites dans le canon  du Nouveau Testament.  Les lettres de Paul ont été classées dans le NT en fonction de la longueur de leur texte. Mais elle est aussi la dernière des six ou sept lettres écrites de sa main-même. Les 13 lettres de Paul sont en effet distinguées entre les authentiques (Romains Rm), Corinthiens 1 et 2, Galates, Philippiens, 1ère lettre aux Thessaloniciens, Philémon) et les autres, écrites par des disciples, voire par des disciples n’ayant pas connu directement Paul, mais s’inscrivant dans la théologie paulinienne. Personne ne met en cause l’authenticité paulinienne de Rm (sauf sur 2 % du texte correspondant à une partie de la doxologie finale).

Dernière en date des lettres, la plus structurée, la plus précise parfois, la plus rhétorique,  destinée à une communauté que Paul n’a pas encore visitée, l’Épitre aux Rm est une sorte de testament de Paul, d’Evangile global. Il s’agit d’une lettre à une communauté prestigieuse, mais essentiellement d’une démonstration dogmatique extrêmement ambitieuse, traitée avec une grande logique, un art de la rhétorique inégalé, mais aussi, et pour les mêmes raisons. Cela explique que l’argumentation parfois très complexe à comprendre, au-delà des questions de traduction qui ont de tout temps divisé les exégètes. L’Epitre aux Romains a été néanmoins le test que s’étaient fixés les auteurs de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) et la réussite de leur tentative, qui a permis la poursuite de cette œuvre immense, montre que les mystères de Romain peuvent être surmontés….

Paul : quelques rappels sur son positionnement d’apôtre :

Paul est né aux alentours de l’an 10 de notre ère à Tarse (alors capitale de la province romaine de Cilicie, actuellement à l’extrême sud-est de la Turquie d’aujourd’hui dans une famille juive assez fortunée qui avait reçu la citoyenneté romaine. Sa conversion au christianisme, qui résulte du célèbre épisode de la route de Damas, s’est produit  alentours de l’an 36, quelques années après la mort du Christ. Ses voyages missionnaires, d’une durée moyenne de 3 ans, s’étalent entre 46 et 57. Paul fut arrêté à Jérusalem en 58, passa deux ans en prison à Césarée, fut envoyé à Rome en 60 par bateau, fait prisonnier une première fois en 61-62, et exécuté après l’été 64, au cours des premières persécutions ordonnées par l’empereur Néron. Un de ses disciples, l’évangéliste Luc, a décrit ses principaux combats dans les Actes, ainsi que ses prises de position (par exemple le célèbre discours de l’Aéropage à Athènes).

Contrairement à ce que l’ordre des livres  du NT pourrait laisser penser, les lettres de Paul et notamment ses premières (Galates, par exemple) ont été écrites antérieurement aux Évangiles. Bien que n’ayant pas connu personnellement Jésus, Paul s’auto-affirme comme l’Apôtre du Christ, investi d’une mission de diffusion d’un message incertain qu’il va progressivement forger, dans sa partie la plus théorique (Galates, puis Romains) que dans son aspect plus concret (la vie des Églises avec Corinthiens). Sa personnalité affirmée et son art de la rhétorique ont beaucoup compté dans l’affirmation du christianisme au-delà de la simple communauté juive de Jérusalem ou de Judée.

L’importance historique de la lettre aux Romains :

Cette lettre a été à la source des principaux débats théologiques de l’histoire du christianisme : la place de la loi juive, la justification par la foi ou par les œuvres, le péché originel, la place d’Israël dans le dessein de Dieu, les rapports avec l’autorité politique l’éthique chrétienne…. On pourrait écrire une histoire du dogme chrétien à partir des réactions des différentes Eglises ou des différents courants de pensée aux principes posés par cet épitre, et ces différentes réactions ont déterminé les grands tournants de la philosophie chrétienne. Partout, c’est Paul qui a imprimé le changement, le ferment de l’évolution du dogme.

L’épître aux Romains a été au centre des créations intellectuelles de Saint Augustin (comme le dogme du péché originel) et de la protestation de Luther. Aujourd’hui encore, l’interprétation de cette épître donne lieu à des débats passionnés, mais plus étonnant encore, à des innovations, des nouvelles approches. La théologie progresse en raison d’une meilleure connaissance du judaïsme du premier siècle, et d’une compréhension renouvelée du style rhétorique de Paul. Le contexte est également mieux connu et pris en compte, comme  celui de la philosophie populaire stoïque comme celui des méthodes des rabbins de l’époque. Les progrès de la traduction comme de l’herméneutique biblique sont réels.

Karl Barth a donné un coup d’arrêt au libéralisme théologique allemand avec son commentaire de l’Epître aux Romains de 1919. Depuis vingt ans, se développe chez les catholiques comme chez les protestants ce que l’on appelle The New Perspective On Paul, par opposition à l’ancienne (old perspective) qui serait dépassée, notamment pour ce qui concerne le périmètre de la loi juive  influant dans le salut.

L’Epître aux Romains, loin d’être un document figé depuis deux millénaires, reste donc un document vivant, un document qui divise, un document qui fait avancer la réflexion.

Contexte de la rédaction de l’Epître:

L’Epître a été écrit entre 55 et 60, sans doute plus précisément en 57/58, très probablement à Corinthe où Paul effectuait un second voyage missionnaire avant de revenir à Jérusalem, où ses thèses étaient fortement contestées au sein de la communauté des premiers chrétiens de l’époque, et notamment de la communauté judéo-chrétienne.

Ce qui fait dire que cette lettre a pour objectif de rassembler son argumentation, les grands thèmes de sa prédication déjà exposés dans Galates de manière plus rapide et plus abrupte, pour constituer ce qu’il appellera « son Evangile ».

Il souffre en effet de l’hostilité des judéo- chrétiens de Jérusalem, qui conservent le vif souhait d’une attention soutenue à la Loi juive, à ses rites dont fait partie la circoncision. Il en est notamment ainsi des pharisiens qui à l’époque de Paul sont très influents.

Mais Paul s’adresse aussi aux païens d’origine (ou pagano-chrétiens), qui sont de plus en plus nombreux à montrer leur intérêt, mais restent démunis de doctrine, méprisés par les judéo-chrétiens pour le relâchement de leurs mœurs, et enclins à des hérésies (comme le montre l’exemple de Corinthe).

Dans ce contexte globalement complexe où sa préoccupation principale pourrait se situer à Jérusalem, l’Epître aux Romains est aussi une lettre écrite pour les composantes de la communauté chrétienne de Rome. Paul l’indique dès l’introduction, il souhaite passer par Rome comme étape intermédiaire d’un voyage qui doit le conduire en Espagne, aux confins occidentaux de ce qui est alors le monde connu. Comme citoyen romain lettré, Paul est très conscient de l’importance capitale du centre intellectuel, politique et social de l’Empire. Il connaît des figures de la communauté chrétienne de Rome à qui il a écrit, même s’il n’a pas lui-même fondé cette communauté. Judéo et pagano-chrétiens s’opposent également à Rome. Les judéo-chrétiens sont nombreux : ils étaient dénombrés aux environs de 40.000 en l’an 49, regroupés au sein d’une dizaine de synagogues, lorsque l’Empereur Claude décréta leur expulsion. Cette expulsion ne fut pas, très probablement, appliquée à grande échelle. Le début du règne de Néron, qui a succédé à Claude, marque d’ailleurs un moment d’apaisement, l’impératrice Poppée marquant même une bienveillance pour les chrétiens. Très vite après la mort de Jésus, la nouvelle religion est présente à Rome. Lors de la rédaction de l’Epître, les persécutions n’ont pas réellement commencé. Paul est donc enclin à vouloir composer avec les autorités politiques de Rome.

Le projet central de l’Apôtre Paul dans Romains :

Comment unifier ces deux communautés autour d’un même projet ?  La persistance de la résistance du judaïsme à s’ouvrir à l’Évangile du Christ, soit parce qu’il s’intègre mal dans le christianisme et réfractaire à l’abandon de la Loi, soit parce qu’il craint une dilution au sein d’une communauté de croyants païens sans morale et sans rite, montre pour Paul une incompréhension globale du projet de Dieu.

Convertir les païens à une religion monothéiste, introduire les doctrines du salut, du péché, de la vie éternelle, dune séparation du temporel et du spirituel, cela demande un effort considérable de persuasion et d’argumentation.

Paul donne  également sa vision de la destinée du peuple juif, considéré comme le peuple élu par les différents livres de l’AT qu’il connaît remarquablement et qu’il cite fréquemment à l’appui de sa doctrine. Quelle est la mission, la vocation, la place du peuple juif dans la construction du Royaume  de Dieu reconfiguré par Jésus ? Paul consacre à cette question trois chapitres de l’Epître aux Romains, qui constituent en quelque sorte une philosophie, une odyssée à la fois du judaïsme et de la religion chrétienne, d’Adam à la fin des Temps.  Pour beaucoup d’exégètes modernes, cette partie-longtemps tenue pour secondaire de l’Epître constitue son volet essentiel.

D’où aussi cette tentative permanente d’équilibre entre les communautés juive et païenne, que Paul a l’audace de placer sous le même jugement du même Dieu. Il procède pour cela à une nouvelle lecture fondamentale de l’Histoire et de la destinée de ces deux ensembles.

Paul proclame que tous sont frères, sans que pour cela cessent les liens spécifiques entre les  juifs et la particularité du peuple juif. C’est ce qui explique que certains développements de l’Epître sont communs aux juifs et aux grecs ou païens, et d’autres spécifiques à chacune des communautés.

L’originalité de la perspective théologique paulinienne :

Le projet de Dieu exprimé par Rm est centré sur la Croix, c’est-à-dire sur l’acte de la crucifixion de Jésus acceptée voire décidée Dieu comme prix de la réconciliation avec l’humanité, d’une nouvelle Alliance avec l’humanité, et sur la résurrection du Christ, victoire  de la vie sur la mort, de la lumière sur les ténèbres,  victoire finale mais encore en attente , ce qui conduit Paul à des développements importants sur la fin des temps . Jésus , en tant que prédicateur, n’est pas cité pour ses messages, la morale qu’il a enseignée, les détails de sa vie ou de son ministère. C’est la figure du Christ, plus encore que sa personne, ou que son message qui est au centre de la réflexion de Rm.

Paul  est l’architecte d’ une théologie de la Croix  qui conserve dans le NT sa particularité, notamment par rapport aux Evangiles synoptiques (et  notamment  au fameuses Béatitudes, qu’on pourrait lui opposer) ou par rapport à d’autres Epîtres, comme celui de l’Apôtre Jacques  (celui-ci insiste beaucoup plus sur les œuvres  et le comportement du chrétien). Il  existe une  contradiction apparente- sur la question du rôle respectif des œuvres et de la foi par rapport à la grâce. Tout l’effort de l théologie de ces vingt siècles a été de faire la synthèse  entre la théologie de la Croix, dont Rm est l’expression la plus aboutie, et les autres volets du message biblique.

Complémentarité entre des traditions différentes (il faudrait ajouter aux synoptique la tradition johannique, qui est encore différente) ou approches d’autre nature ? Il existe une vraie cohérence entre des messages dont l’approche est divergente. L’Epître aux Romains conserve sa fonction de magistère, notamment dans le monde protestant. La Déclaration commune entre les Eglises luthérienne et catholique a en 1999 considérablement réduit les oppositions entre protestants et catholiques sur la question de la justification par la foi. Les divergences et les convergences sont mieux cernées.

Plan de l’ Epître et de l’ étude :

Les commentateurs se sont séparé et opposés sur le plan de cet Epître qu’on peut néanmoins résumer – de manière contestable – ainsi :

  • L’exhortation initiale
  • Juifs et païens sont également justifiés par la foi
  • Les croyants sont appelés ici-bas à une vie nouvelle guidée par l’Esprit
  • Israël a un rôle particulier, auprès des Nations et avec elles, dans la construction de la fin des temps
  • La vie dans l’ Eglise et au sein du monde ( les liens entre les autorités, le devoir de solidarité, le respect de l’éthique…)

Tous ces aspects seront examinés, même si un découpage pédagogique en huit volets a été réalisé pour découper l’étude en huit séances distinctes.

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